Si tu voyais le monde aujourd'hui, tu serais effarée par la place accordé à la haine, encore elle, et à l'ignorance, à la peur, à la terreur.
Des jeunes sont nés ici et ne se sentent pas d'ici, n'en maîtrisent pas la langue alors même qu'ils sont allés à l'école, y ont reçu le même enseignement que moi, moi dont le père était étranger, ouvrier et peu instruit.
Je crois que la grande différence entre les êtres, quels que soient leurs origines ou leur milieu social, c'est l'amour que l'on reçoit et la nature de cet amour durant l'enfance,
Je ne sais pas si B. Jahrel manquait d'amour et je n'avais fais qu'entrevoir ses liens avec ses parents, mais mon détachement n'a pas aidé à éviter d'en faire une proie pour les extrémistes. Car c'est bien une forme d'amour qui lie les professeurs passionnés et certains élèves qui les voient comme des îles de paix dans leur quotidien morose. En refusant Jahrel dans mes cours, je l'ai trahi, et sans doute blessé.
Je ne dis pas que tous les maux du monde sont le résultat d'un manque d'amour. Mais nous avons notre part de responsabilité si nous n'aimons pas assez ou mal.
J'ai grandi dans l'amour, celui, visible, entre mon père et ma mère, celui de mon père pour la France, sa culture, sa qualité de vie, ses rivières, ses montagnes, son littoral, ses parcs régionaux, son histoire.
Même dans les coups et les injures, dans les colères de mon père, il y avait l'amour, mêlé à la crainte que ses enfants ne réussissent pas.
Nous n'avions pas d'argent, mais j'avais un père attentionné, et cet homme possédait une vision d'avenir, une idée du pays dans lequel il vivait depuis ses dix-sept ans, une conception à lui de la manière de réussir, par l'école, par la voie de la République, par le travail. Même si il ne disposait ni d'une fortune ni de diplômes, mon père pouvait compter sur son intelligence et son bon sens ; il tenait à ce que personne ne quitte le chemin qu'il avait tracé comme un sillon sur du marbre.
Aucune religion chez nous. Dieu, mon panthéon, c'était mon père, avant que la littérature ne vienne le remplacer à l'adolescence.